LA PROFESSION INFIRMIERE PASSE EN ALERTE ROUGE

publié le : 4 septembre 2023 par Présidence

Lettre ouverte

DEPARTS MASSIFS DES INFIRMIERES A L’HOPITAL CONFIRMES PAR LES STATISTIQUES DE LA DREES1 : UNE REALITE DRAMATIQUE POUR UNE PROFESSION SI MECONNUE DANS SES COMPETENCES.

Le Collège infirmier français (CIF) alerte sur la situation inquiétante des effectifs infirmiers en France. Des indicateurs viennent confirmer ce constat.

Les récentes données statistiques de la DREES [1] publiées le 24 aout 2023 révèlent que les infirmières sont nombreuses à jeter leur blouse quelques années après avoir débuté leur carrière. Une infirmière sur deux quitte son poste hospitalier après 10 ans d’exercice. Seulement 48% restent à leur poste au bout de 15 ans. Parmi les raisons mises en évidence, des salaires injustement sous-évalués contrairement à leurs homologues européens ou ailleurs dans le monde et le manque avéré de reconnaissance qui est toujours constant depuis de nombreuses années, auquel s’ajoutent aujourd’hui des conditions et un volume de travail jamais atteints. Les infirmières y font face grâce à leur engagement et dévouement. Cependant, elles s’épuisent par manque de personnels au risque de la sécurité des soins et la mise en péril des patients. Elles vivent un sentiment de dévalorisation et d’abandon. C’est pourquoi, il est indispensable que les pouvoirs publics engagent une vraie politique de reconnaissance et revalorisation de la profession.

La formation universitaire aurait dû enrichir les prestations et contribuer à leur reconnaissance. L’hôpital -entreprise n’a pas évolué et précarise de plus en plus ses infirmiers soumis à une organisation de travail toujours plus dense avec moins de ressources.

Le CIF regroupe un grand nombre d’organisations professionnelles de différentes composantes et de différents secteurs d’activités, aussi bien généralistes que des spécialités et Infirmières en pratiques avancées. Le CIF a une vision exhaustive des parties prenantes de la profession infirmière. Cette profession se diversifie et se caractérise par une multitude de compétences et d’expertise dans différents domaines d’activités. Si des professionnels choisissent de rester généralistes à l’hôpital, d’autres deviennent infirmières libérales à domicile ou en CPTS, d’autres infirmières en santé scolaire, ou en santé au travail, d’autres choisissent de se spécialiser, devenir infirmières en pratique avancée ou s’orienter vers le management ou la gouvernance.

Professionnelle reconnue comme acteur indispensable du système de santé, l’infirmière vit des conditions de travail difficiles, une non-reconnaissance de ses compétences, voire une méconnaissance avérée. Elle exerce dans des conditions qui ne sont plus acceptables dans notre ère moderne. Si les études ont considérablement évolué, leurs conditions de travail restent tout autant prolétarisées et laissent peu de place à la démarche clinique et à l’analyse réflexive. En 1978, pour la première fois, une loi reconnaissait aux infirmiers une autonomie dans les soins. Néanmoins, les conditions de travail n’ont pas réellement changé. En 1988, le mouvement de grève était national, et les revendications toujours les mêmes. Le rôle autonome appelé communément rôle propre n’a pas été évalué à sa juste mesure. Le vocable rôle propre a été préjudiciable souvent associé au propre et au sale, à la toilette, et à la réfection des lits. Le rôle autonome n’est absolument pas limité à l’hygiène, d’où de mauvaises représentations. Le rôle autonome représente toute la partie invisible prédominante de la profession de l’infirmière à l’hôpital et dans tous lieux d’exercice. L’arrivée de la T2A n’a pas été un atout. Elle a accéléré la dégradation des conditions de travail et de la reconnaissance de la profession. La logique économique a été violente et préjudiciable.

En outre, comment valoriser au niveau des salaires 750 000 infirmiers ? Pourtant si rien n’est fait et selon la théorie de Johannes Siegrist [2] sur les risques psycho-sociaux, nous nous dirigeons vers une situation encore plus difficile, voire dramatique. Les réformes de santé se sont succédées, sans prise en compte des compétences réelles des IDE par les pouvoirs publics. Un sentiment de mal-être renforcé à l’été 2016, après le suicide de cinq soignants. Aujourd’hui, le malaise persiste dans la profession. Un malaise qui dure depuis plus de 50 ans, aggravé par la pandémie puis la situation saturée des urgences, des services qui ferment etc.. et les violences et d’agressions .

Se pose alors la question de l’idéologie et la réalité. Pourquoi 10% des étudiants infirmiers quittent les instituts en L1, c’est-à-dire dès la première année de licence ? L’écart est bien réel et le choc de la réalité tout autant. Les stages sont une période propice aux abandons notamment les premiers stages en L1. Selon la FNESI, il y a une certaine maltraitance. Vu les effectifs en stage, les professionnels n’ont pas le temps d”accompagner des étudiants bien souvent livrés à eux-mêmes. A l’institut, ils apprennent la démarche de réflexivité, et en stage, la non-réflexivité. La confrontation lors des stages à une organisation peu évoluée taylorienne et dévalorisante ne motive pas les étudiants. De plus, les tuteurs se font rares en raison d’un manque d’effectifs. 3400 étudiants ont abandonné en première année selon la

Augmenter le nombre d’étudiants en première année n’est pas la solution puisqu’ils abandonnent leurs études.

A ce jour, si on se réfère aux données chiffrées de la DREES, 15 000 infirmières manquent. Les causes de ces départs ou réorientations sont connues des professionnels infirmiers mais ne sont par réellement entendues. Médecins, technocrates ou politiques s’expriment aisément sur une profession qu’ils sont loin de connaître. Le CIF a adressé des contributions sur l’évolution de la profession infirmière. Il demande à être entendu et écouté à ce sujet. Il est temps d’arrêter l’hémorragie avant qu’il ne soit trop tard.

Il devient urgent d’améliorer les conditions de travail et de valoriser cette profession à la mesure de son niveau de responsabilité avant qu’il ne soit trop tard. L’attractivité dont tous parlent passe par cette revalorisation à l’instar des enseignants à l’éducation nationale. Quel mépris pour cette profession reconnue universellement ! L’attractivité du métier d’aide-soignant est nécessaire mais celle de la profession IDE devient une urgence. Un métier exigeant au niveau des compétences et responsabilités au service des patients.

Enfin, c’est à la profession de se positionner, de décider, d’élaborer ses référentiels, de refonder sa profession. Notre profession est représentée par des directeurs des soins, cadres de santé, des organisations diverses expertes et spécialisées, tous compétents pour organiser leur profession, en collaboration avec l’Ordre national des infirmiers qui représente l’autorité dans l’exercice infirmier. Reconnaissance et conditions de travail sont les 2 critères prépondérants de l’attractivité de la profession. Sans cela, le système de santé affaibli par un manque d’infirmiers s’expose à une perte de la qualité des soins et de ce fait à la précarisation de la Santé de la population.

G.HUE

Présidente du CIF


[1Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques

[2Johannes Siegrist, sociologue de formation, professeur de sociologie médicale